Des cendres commençaient à pleuvoir du volcan endormi. Des relents de cendres, toujours plus fréquents et toujours plus forts, inquiétaient Sharpe Buck. Evidemment, les terres que couvrait le volcan n’étaient pas siennes mais il y chassait souvent et la moitié du gibier capturé par sa Meute provenait des terres sans maître. Il lâcha un petit soupir et continua de descendre la pente abrupte du volcan. Une particule encore rougeoyante lui atterrit sur le museau et il secoua la tête avec vigueur, la brûlure occasionnée par ce contact s’estompant peu à peu. Il éternua violemment et, d’un dernier bond, sauta par-dessus la dernière pierre au bas du volcan. Le grand cendré explora une énième fois les contrées qu’il connaissait presque par cœur des yeux. Le pourtour du volcan soi-disant éteint était riche et abondant en proies en tous genres. Les biches, qui vivaient dans les forêts à cause de la chasse des Bipèdes, étaient revenues dans la prairie ; leur habitat originel. Ce changement d’habitude ne favorisait pas les chances de Buck à la chasse, bien au contraire. Mais il fallait tenter car son estomac émettait un grondement impérieux. Il s’élança donc dans les herbes hautes qui bordaient le verger. Il ne tarda pas à apercevoir parmi les herbages asséchés un petit groupe composé de trois biches, un faon et un jeune cerf. Ce dernier ne semblait pas très expérimenté, ce qui était une chance pour le loup. Il se tapit, à l’affût, guettant le moindre mouvement de sa proie. Il avançait, sans faire le moindre bruit. Puis, soudain, une des biches le repéra. Elle poussa un cri d’alarme, releva sa queue immaculée et détala en bondissant, bientôt imitée par toutes les autres. Le puissant loup sortit de couvert dans un grondement assourdissant et se lança à la poursuite du jeune faon. Il courait moins vite et son sort, en quelques secondes, fut cellé. Sharpe Buck se releva, sa victime inerte pendouillant entre ses mâchoires puissantes. Puis il se dirigea d’un pas tranquille vers le verger. Il allait s’allonger sous un pommier lorsqu’il vit que la place était déjà prise. Il laissa tomber sa prise ensanglantée au sol comme un vulgaire chiffon. Un grondement assourdissant s’échappa de sa gorge et ses crocs encore rougeâtres se dévoilèrent. Puis, il vit de qui il s’agissait et un petit rire le secoua en voyant le Bras-Droit des chiens manger … une pomme. D’un ton narquois, il pris la parole.

« Je vous savait idiots, vous autres chiens, mais j'étais loin de me douter que vous l'étiez au point de passer à un régime végétarien. Vous êtes donc de si mauvais chasseurs ? »

« Détrompe toi l'ami, n'est-il pas amusant de tenter de nouvelle saveur ? Je ne faisait que gouter, et un chien reste éternellement un joueur, qu'il soit vieux ou pas, mais cela ne m'empêche pas de pouvoir te dire que je suis aussi un cabot qui sait te faire face. Mais ce n'est pas pour autant qu'on doit se regarder ainsi, pourquoi ne pas parler ? En parfaite vielles connaissances. » Le grand loup toisa le chien étendu à ses pieds avec mépris. Puis, il se dit que c’était chose inutile que de se quereller pour des queues de cerises, d’autant plus qu’ils étaient censés, chiens et loups, faire alliance en ces temps où les Bipèdes se trouvaient partout. Il s’assit sur son arrière-train et, sans quitter le berger noir des yeux, il entama sa proie fraîchement tuée. Il ne prit pas la peine de constater que le chien lui tournait autour en le reniflant. Il secoua la tête et plongea son museau dans les entrailles du jeune faon. La gueule rougie, il regarda tranquillement le grand chien et se passa sa langue rouge – elle aussi – sur le museau avec un air purement satisfait et provocateur.

SHARPE « Je pense qu'il est inutile de te proposer un morceau de ma pitance ; je ne voudrais pas te gâcher ton bon plaisir joueur ni être une entrave à tes expériences concernant les nouvelles saveurs. Pour ma part, je préfère la viande. »

Buck ne fit pas réellement attention aux intentions pacifiques du chien noir. Sparrow n'avait jamais réellement cherché la guerre mais Sharpe préférait garder certaines distances car, malgré son mépris et sa haine envers cette espèce, il savait que Sparrow pouvait s'avérer être un combattant redoutable.

« En tant que Bras Droit des chiens, je suppose que j'ai le droit de te demander si les Bipèdes se sont de nouveau attaqué à vous ? » Le grand mâle cendré releva la tête vers le chien au pelage charbonneux. Leurs regards se croisèrent, et Buck chercha dans celui de Sparrow la moindre once de manipulation, de mensonge ou le moindre signe de fourberie. Mais rien. Seulement la froideur qui lui était destinée, seulement l'indifférence et le dégoût que lui inspirait le loup. Ce dernier soupira et lécha son museau rougi. Il se redressa lentement et replongea son regard acier dans celui du noir. Il ne répondit pas immédiatement à la question du mâle. Sa paranoïa le forçait à éviter le sujet. Les Bipèdes étaient nombreux, forts et puissants mais pas infaillibles. Les canidés finiraient bien par les achever. Ou la forêt le ferait à leur place. Il sonda le regard de Sparrow avant de répondre lentement, d'un ton calme mais inquisiteur.

SHARPE « Qu'est-ce qui te répugne, Sparrow ? Vous aussi, vous chassez pour vous nourrir. Je fais de même. Devrais-je me laisser mourir de faim pour sauver une vie ? Je ne le crois pas. »

Puis, brusquement, la réalité revint à Sharpe. Cette réalité incommodante, répugnante et pourtant bien réelle, hélas. Les loups étaient alliés aux chiens et ce, jusqu'au départ des Bipèdes. Buck n'avait donc aucune raison de croire que le Bras Droit des chiens voulait se renseigner sur les loups pour pouvoir connaître leurs faiblesses.

SHARPE « Nous n'avons pas subit de nouvelle attaque... Et vous ? »

Il s'empressa de détourner le sujet de conversation en revoyant l'image de Slayer couturé de cicatrices, ces fils bleus sortant de toutes parts de son corps devenu chétif. Il eut un haut-le-cœur en repensant à ses responsabilités dans cette affaire.