Premier post Riverside ♥

Le grand loup au pelage gris acier se pencha vers l’eau qui glougloutait joyeusement à ses pieds. Il lapa lentement quelques gorgées limpides et fraîches et se releva sans se presser. Il parcourut du regard l’étendue désertique de la montagne qui s’offrait à sa vue. Seuls des rochers, de l’herbe rase ou desséchée pouvait consister une forme de relief. Le grand mâle s’assit tranquillement sur son arrière-train. Il voulait se donner cette apparence tranquille, cette consistance sereine et sûre d’elle. Mais il doutait de pouvoir y parvenir jamais, bien qu’il fût devenu avec le temps un comédien hors pair. Il pouvait jouer la comédie durant des heures, des jours et même pendant toute une vie s’il le fallait. Et il le fallait. Il le fallait à tout prix. Sans quoi tous lui tourneraient le dos avec mépris, le martyriseraient comme un vulgaire pantin et surtout, surtout, Promise aurait raison. Et cela, il préférait mourir plutôt que de l’admettre. Il se rendait compte, petit à petit, qu’il existait des êtres supérieurs et des êtres inférieurs. Ceux qui se contentaient de le suivre comme des moutons bêlants et dès qu’il s’aviserait de leur dévoiler sa véritable identité se transformeraient en loups avides de souffrance et de sang. Ils se jetteraient sur lui et le tortureraient, le tueraient. Et les êtres supérieurs, c’est-à-dire égaux à lui-même, Sharpe Buck. Ceux qui ne portaient pas de jugement hâtif, ceux qui le considéraient pour ce qu’il était et non pour son grade. Remuer ses jugements et ses pensées les plus intimes lui donnait la migraine. Il secoua la tête, comme s’il espérait par ce simple mouvement pouvoir chasser son mal de crâne intolérable. Mais il n'en était rien, bien évidemment. Tant pis alors. Résigné sur son sort, comme d'ordinaire, Buck attendit. Attendit quoi ? Le déluge ? Le dégel ? La fin ? Quoi ? Quelque chose connue de lui seul. Une présence que son sixième sens lui avait décelé avant même qu'elle ne se manifeste.

Ignorante et Candide.

Elle arriva, le pelage détrempée, le regard joyeux et chaleureux, la voix suraiguë au goût de Sharpe Buck, l’air d’une gamine de bas-âge. Comment dire ? Comment expliquer que certains spécimens d’êtres vivants restaient enfantins jusqu’à la fin de leurs jours ? Comment expliquer qu’ils ne vivaient qu’au jour le jour ? Comment expliquer que le grand gris les méprisait mais que, au fond, il savait qu’il les enviait ? Il les enviait. Oui. Ces êtres infantiles ne se souciaient pas du lendemain, ne se préoccupaient pas de leur avenir, ne s’empêtraient pas de problèmes et de maux inutiles. Ils vivaient, au sens propre du terme. Au seul sens qui devrait exister, d’ailleurs. Et Buck les considérait comme inférieurs pour ça. Parce qu’ils étaient différents. A force de se faire juger d’autrui parce qu’on ne correspond pas à la norme, on fini par devenir aussi odieux que celui qu’on n’aurait jamais voulu être. On se voit se ratatiner, se flétrir, se faner, s’aigrir, se mentir à soi-même pour se dire qu’on est pas ainsi, qu’on est toujours digne et noble. Mais il n’en est rien. Rien. On est mort. A jamais. Quoi qu’il arrive. Et elle le regarde de ce regard vraiment tranquille. Lui la regarde avec ce regard faussement tranquille. Derrière ses prunelles danse, imperceptible, une lueur affolée. Il la regarde encore, les yeux plantés dans les yeux et la dévisage, impassible. Il l’entend dans une brume indistincte lui dire un « Bonjour » enfantin et cristallin. Il se retient de lâcher un soupir, les yeux dans le vague, qui passe à travers la louve blanche.

« Bonjour ... »

lâche-t-il d'un ton neutre et sans émotion.

La Vie ne m'a pas encore Privé de ma Liberté d'Expression.

« Ne me dévisage pas comme si j'étais une enfant débile, merci ! » Cette soudaine hausse du ton de la jeunette sors brusquement le grand mâle de sa rêverie. Il braque immédiatement un regard furibond sur la blanche. Il sent son poil se hérisser sur son échine et il étouffe le grondement rageur qui monte dans sa gorge. Son statut d'Alpha était en péril mais il considérait qu'il avait encore le légitime pouvoir sur les loups de sa propre Meute ! De quel droit osait-elle lui parler sur ce ton ? Le tutoiement qu'elle avait immédiatement employé le dérangeait quelque peu, mais il n'était pas en mesure de lui reprocher ça. En revanche, son regard assassin trahit son ton calme et posé lorsqu'il parla ; sa voix vibrait un peu sous l'effet de la colère.

« Je te regarde comme il me plaît. Je regarde tout ce que je désire ici, comme il me plaît et comme il me l'entend. Si je veux te regarder comme une moins que rien ou comme une demi-déesse, c'est mon droit et tu n'as pas à donner ton opinion là-dessus. »

Son ton sec claqua comme un fouet dans le silence morbide de la montagne. Allez savoir, Sharpe Buck était sûrement de mauvaise humeur à cet instant-là. Sans doute n'aurait-il pas dû la rabrouer ainsi. Mais la louve qui menaçait son trône hantait son esprit et il ne pouvait pas passer un seul instant sans chercher à se rappeler qu'il était bien l'Alpha.

Si les Dieux Existaient, je leur ferai payer Cher leur Cruauté.

« Oui, oui, d'accord, excuse-moi ! Mais je préférerai quand même que tu me regardes comme une demi-déesse ! » Il la toisa d’un ai supérieur avec un haussement de sourcil unique. Il secoua la tête avec indifférence quand la louve tenta – vainement – de le détendre. Il avait bien trop de soucis à gérer. Il décida donc de changer de sujet car celui-ci ne lui plaisait guère et il y avait tant de choses mieux à faire que de parler de la pluie et du beau temps.

« D’ailleurs, j’espère que tu te plaît dans la Meute. Aimes-tu Deceitful Promise ? »

Il tenta de prendre un ton doux et mielleux lorsqu’il prononça le nom de sa « bien-aimée », ce ton que tous les imbéciles amoureux fous emploient mais ses paroles sonnèrent faux. Ce ne fut qu’une sorte de gargouillis sec qui sortit lorsque le nom de la garce qui risquait de compromettre son règne brûla ses lèvres, écorcha sa gorge. Rien que son nom suffisait à le faire sombrer dans une sorte de léthargie composée de haine, de douleur, d’envie de sang et de souffrance. Oui, elle lui avait ôté tout ce qu’il avait réussi à construire – ou du moins, elle n’allait pas tarder à le faire. Elle allait bientôt détruire son environnement, dévoiler aux inférieurs qu’il n’était qu’une loque folle et désabusée et qu’il ne méritait pas ce grade ; il ne méritait que la souffrance et la torture que lui infligeraient les autres.

Les Amis de mes Ennemis sont mes Ennemis.

« Promise ? Oh, oui, je la connais depuis longtemps. On est amies, toutes les deux. En fait, c'est un peu la seule amie que j'ai gardé au fil du temps. On aurait pas cru, hein ? On est un peu le jour et la nuit, toutes les deux. C'est un peu ça qui nous a liées. Comme je suis le plus souvent très calme, ça a tendance à la calmer. On m'a souvent dit qu'elle n'était pas la même personne quand elle était avec moi et quand je n'étais pas là. Et toi ? Tu n'as pas l'air de l'apprécier plus que ça. Que s'est-il passé ? Tu sais, tu peux me le dire, on est amies depuis longtemps et je sais qu'elle n'est pas toujours facile. » Sharpe Buck déglutit. Il n'avait vraiment pas de chance ces derniers temps ; le sort s'acharnait sur lui. Il n'était vraiment pas tombé sur la bonne personne. S'il s'avisait que cette louve apprenne les raisons pour lesquelles Promise était Alpha de la Meute, elle n'hésiterais pas à tout aller lui raconter et cela cèlerait la fin de Buck. Il se raidit intérieurement mais n'en laissa rien paraître. Un grand sourire éclaira son visage. Quel faux-jeton il faisait .. ! Il émit un petit rire amusé et s'inclina dans une courbette moqueuse devant la jeune louve blanche.

« Oh, je suis ravi que ma bien-aimée ai des amies dignes de ce nom au sein de la Meute ! Elle sera heureuse de savoir que je t'ai rencontrée. Tu es Riverside, non ? Elle me parle souvent de toi. »

Déjà, l'idée que la blanche devant lui aille parler à Promise sa rencontre avec son "compagnon" le faisait frémir. Il voyait déjà le visage de Deceitful se transformer et prendre cette moue amoureuse qu'elle parvenait à mimer à la perfection. Il chassa cette image de son esprit.

Manipulation.

« Oui, c'est moi. Ta bien aimée ? C'est bizarre, je ne vois pas du tout Promise avoir une relation durable. Vous me cachez quelque chose, tous les deux ! De toute façon je finirai par le savoir. Que ce soit toi qui me le dise... ou non ! » Un petit rire nerveux secoua le grand mâle. Après tout, il n'avait rien à craindre ; Promise ne vendrait pas la mèche. Pas pour le moment, du moins. Mais il voyait dans cette louve bavarde un fol espoir grandissant qui lui permettrait - peut-être - de s'en sortir. Il lâcha un sourire inquiet et la regarda droit dans les yeux, une lueur inquiète et étrange habitant ses prunelles.

« Je sais que ça va te paraître bizarre, Riverside, mais je me dois de te poser cette question, aussi indiscrète soit-elle. Même si j'aime Promise et que je pense que c'est réciproque, je ne connais rien de son passé. Pourrais-tu m'éclairer sur quelques petites choses ? Car parfois elle devient étrange ... »

Il la regarda, une lueur d'espoir et d'inquiétude illuminant ses yeux noirs. Après tout, plus il connaîtrait Deceitful Promise, plus il aurait de chances qu'elle soit pour lui la compagne idéale.

Manipulation.

« Vas-y ! J'essaierai de te répondre du mieux que je peux. Mais je ne te dirai peut-être pas tout, si je juge que certaines choses sont personnelles et que Promise ne voudrait pas qu'elles soient divulguées. Puis, je ne sais pas tout ... Je t'écoute, qu'est-ce que tu veux savoir ? » L'occasion était trop belle. Sharpe Buck se devait de la saisir. Il ouvrit la bouche, des flots de paroles s'apprêtaient à en déferler à une vitesse d'élocution énorme mais Buck se ravisa. Il referma la bouche. Il ne fallait pas braquer la jeunette qui se trouvait face à lui, sans quoi elle persisterait dans son idée que les deux « tourtereaux » avaient quelque chose à cacher, notamment lui. Il prit donc son temps, même si cette lenteur forcée lui coûtait. Ce qu'il voulait savoir ? Tout. Tout ce qui la concernait. Tout, depuis sa plus tendre enfance. Tout. Pourquoi elle lui pourrissait la vie, comment avait-elle acquis ce savoir-faire de manipulatrice hors pair, et surtout, surtout, son point faible. Sharpe Buck était obnubilé, obsédé par cette idée. Il en rêvait jour et nuit, ne pensait qu'à cela. Il ne pensait qu'au point faible de Promise, avec lequel il pourrait la renverser, jouer à son propre jeu, en tourner les règles à son avantage. Sans ce joker, il n'avait aucune chance de gagner. Il voulait que le mur imperméable qui renfermait la louve éclate, explose en miettes pour qu'il puisse la voir, nue, dénuée de toute carapace protectrice. Faible. Il pris un air ennuyé, voir même gêné avant de répondre à Riverside.

« Raconte-moi sa vie. »

Ces quelques mots, prononcés avec un calme et un sang-froid inébranlable. Ces quelques mots qui suffiraient peut-être à calmer sa douleur et son avidité s'il obtenait une réponse satisfaisante.

Chantage.

Le grand loup était suspendu aux lèvres de la jeune femelle. Il avait encore une question à lui poser, une seule. Il en savait déjà beaucoup et s'en réjouissait. Mais il en voulait toujours plus. Il prit un air accablé et sincère lorsqu'il répondit lentement à la jeune louve blanche.

« Très bien, tu l'auras voulu. Mais si je te répond pourquoi je te demande ces informations, il faut que tu me jures de répondre sincèrement à ma prochaine question. »

Le grand mâle se voyait obligé de tout lui raconter pour parvenir à ses fins. Comme si ce n'était pas assez difficile. Il leva les yeux vers le ciel parsemé ça et là de nuages blancs et laiteux, priant doucement pour que son calvaire cesse enfin.

Il hésita, sembla réfléchir, et finalement s'assit face à moi. Il battit le sol de sa queue et prit une profonde inspiration. Il semblait vraiment tenir à ce que je pouvais lui raconter, quitte à ... mentir ?

« En réalité, elle parle dans ses rêves. Elle parle de sang, de tueries et de son père. De son frère aussi. Elle parle de cadavres, de monticules morbides. Et.. et je ne suis pas très rassuré par ce que j'entends. Maintenant, ma question est : comment son père et son frère sont-ils morts ? »

Mon visage se ferma. Mon regard se fit sombre, ma queue fouetta le sol furieusement et je me redressai. Je reculai d'un pas, puis de deux. Je n'aimais pas les menteur, je les sentais, j'avais comme un 6ème sens car je détestais ça. C'était une des rares choses qui m'énervaient, qui pouvaient me faire entrer dans une colère noire. Je devais me calmer, je devais respirer calmement. Mon thorax se soulevait et retombait en un rythme saccadé. La colère bouillonnait en moi, je devais arriver à la ravaler sinon cela finirait mal. Si je restais calme la plupart du temps, c'était pour éviter ces colères noires qui avaient déjà fait des ravages dans mon passé. Je n'en dirai pas plus car ces souvenirs m'attristent un peu trop. Mes yeux restèrent fermés quelques minutes, le temps pour mon coeur de se calmer et pour ma colère de retomber. J'arrivai à la maitriser, mais difficilement et je la sentais toujours bouillonner autour de moi. La voix froide, étonnement posée, j'articulai dans un murmure :

- Je ne te crois pas.

Je rouvris les yeux, mon regard perçant transperça le loup cendré. Je lançais des éclairs et dus à nouveau respirer profondément pour ne pas me laisser submerger par la fureur. Je fulminais intérieurement, regrettant d'avoir été aussi bavarde pour un menteur.

- Tu n'auras pas un mot de plus sur le passé de Promise. Tu n'en vaux pas la peine. Tu ne parles pas avec franchise, je ne le ferai pas non plus.